Sur la route de Sidi Boughaba, le paysage imprenable de ce site protégé se distingue de loin par ses arbres touffus et sa verdure particulière, en plus son silence qui laisse place à tous les sons de la nature. Mais à l’entrée de cette zone humide, le cadre paradisiaque naturel contraste avec une réalité inquiétante. En effet, le lac au cœur de cet espace regorge de poissons de gambusie, qui se meurent en masse. D’une ampleur jamais observée sur place, le phénomène laisse les associations de protection de l’environnement dans l’incompréhension, le choc et l’inquiétude.
Chargé de la conservation du site en tant que secrétaire général de la Société protectrice des animaux et de la nature au Maroc (SPANA), en partenariat avec le département des Eaux et forêts, Abdeslam Bouchefra décrit à Yabiladi des poissons en nombre, qui sont en cours de décomposition. «Le phénomène naturel qui pourrait expliquer cela est l’eutrophisation, qui consiste en une baisse du niveau de l’eau, une augmentation de sa température au printemps/été, la multiplication d’algues qui diminuent le taux d’oxygène et qui meurent elles-mêmes, en dégageant des substances toxiques, ce qui accélère la mort des poissons», souligne-t-il.
Un assèchement de l’eau survenu plus tôt que sa saison normale
Dans un communiqué parvenu à Yabiladi, la SPANA explique que «le caractère nettement eutrophe du lac a été signalé par plusieurs scientifiques à cause de sa forte alcalinité, sa minéralisation élevée et sa teneur en matière organique». Cependant, «nous ne sommes pas dans cette saison qui intervient entre août et septembre à Sidi Boughaba», nuance pour sa part l’ancien ingénieur forestier.
Pour avoir travaillé sur ce site pendant 35 ans, Abdeslam Bouchefra affirme aussi à Yabiladi que la zone ne subit par ailleurs «aucun déversement de produits chimiques, industriels ou d’eaux usées». D’ailleurs, sa conservation obéit à la Convention Ramsar. «Je peux dire aussi que je n’ai jamais vu une mortalité pareille à Sidi Boughaba», s’inquiète encore le spécialiste.
Dans cette zone, la gambusie a été introduite il y a près de huit décennies, dans le cadre de la lutte biologique contre la prolifération des moustiques. Par la force du temps, cette mort massive pourrait menacer une partie du bassin, qui pourrait devenir un marais infectieux.
«Au cours des quatre dernières décennies, le site a connu plusieurs fois des phénomènes similaires qui avaient été à l’origine de la mortalité et la disparition définitive de la totalité de la carpe commune, introduite antérieurement pour éliminer justement le surplus des algues», rappelle Abdeslam Bouchefra.
Maroc : Les zones humides deviendront-elles les déserts de demain ?
Ces observations inquiètent d’autres militants écologistes de la région de Kénitra, où la délégation des Eaux et forêts a été saisie pour enquêter sur les raisons de ce dépérissement encore inexpliqué. Le 25 juin dernier, l’Association marocaine pour l’économie verte, l’environnement et la justice climatique a elle aussi fait part de ses préoccupations auprès dudit département. Dans une correspondance relayée par l’ONG, la délégation a affirmé, le 30 juin, avoir été notifiée du phénomène, de la part des autorités locales, deux semaines auparavant.
Depuis, le département dit avoir constitué une commission mixte, «avec les représentants locaux de Mahdia, l’unité environnementale de la Gendarmerie royale, l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA), l’Agence du bassin hydraulique de Sebou et le service d’hygiène et de la santé relevant de la commune de Mahdia». L’équipe indique ainsi avoir procédé à des prélèvements, afin d’analyser la composition de l’eau et formuler des conclusions. Par ailleurs, les services communaux ont été chargés de nettoyer le bassin des poissons morts.
Une association locale pointe les effets du réchauffement climatique
«Ni l’eau, ni sa composition ne seraient derrière cette mort massive et jamais observée, car sinon des poissons meurent chaque année alors qu’aucune contamination du bassin n’est enregistrée», réagit pour sa part le président de l’Association marocaine pour l’économie verte, l’environnement et la justice climatique, Hamza Oudghiri.
Pour s’être rendu sur les lieux afin de constater l’ampleur du phénomène, le militant estime que «l’hypothèse la plus plausible serait que Sidi Boughaba paierait les frais d’un réchauffement climatique irréversible».
«La nappe phréatique pourrait avoir été impactée par les longues années de sécheresse, accentuée pendant trois ans consécutifs. L’amenuisement ou l’approfondissement de cette nappe sous terre est un phénomène qui accélère l’assèchement des zones humides, dont l’équilibre et l’écosystème sont très fragiles.»
Hamza OudghiriEgalement président du Réseau d’action pour le climat dans le monde arabe, l’associatif dit avoir constaté «une baisse anormale du niveau de l’eau, mais dans la partie la moins profonde du bassin, qui est donc celle la plus touchée par la mort des poissons, car située plus loin d’une nappe phréatique probablement en recul».
Ph. Association marocaine pour l’économie verte, l’environnement et la justice climatique
«Nous avons alerté sur tous ces dangers depuis plusieurs années, afin que nos zones humides ne deviennent pas un jour un désert aride», rappelle Hamza Oudghiri. Dans ce sens, il souligne qu’en dix ans et dans tout le Maroc, plus de la moitié de ces zones ont disparu, après des cycles d’assèchement périodique, qui a fini par s’installer indéfiniment.
Le président de l’ONG rappelle que Sidi Boughaba ne subirait pas les effets des changements climatiques uniquement depuis les dernières années. «Au début des années 1990, c’est une très forte et longue sécheresse qui a achevé les autres espèces de poissons qui se trouvaient dans le site et au fil des années, un premier bassin s’est entièrement asséché et ne s’est plus remplis à nouveau», s’inquiète l’associatif, redoutant que le phénomène serait en train de gagner le bassin principal du site.